Published on May 16, 2024

En résumé :

  • L’intimidation face à l’art contemporain vient souvent de l’attente d’une beauté classique, alors que son langage est basé sur le concept et le processus.
  • Analyser une œuvre n’est pas inné : c’est une compétence qui s’apprend grâce à une méthode d’observation structurée en 7 étapes clés.
  • La scène montréalaise est un terrain de jeu accessible, des musées institutionnels aux galeries émergentes du Mile End, permettant de former son œil progressivement.
  • Passer de spectateur passif à explorateur curieux transforme radicalement l’expérience muséale, en particulier dans les expositions immersives.

Vous est-il déjà arrivé de vous tenir devant une toile immense au Musée d’art contemporain de Montréal (MAC), de lire le titre, de plisser les yeux, et de repartir avec ce sentiment diffus de ne pas avoir « compris » ? Cette impression d’être passé à côté de l’essentiel est une expérience partagée par de nombreux amateurs d’art. On se sent parfois intimidé, voire un peu exclu, face à des œuvres qui semblent hermétiques ou, à l’inverse, faussement simples.

Face à ce constat, le conseil habituel est de « prendre son temps » ou de « lire le cartel ». Si ces astuces sont un bon début, elles restent souvent insuffisantes pour véritablement percer le mystère. L’art contemporain, et plus particulièrement la peinture, ne se livre pas toujours au premier regard. Il ne s’agit pas seulement de déterminer si l’on « aime » ou si l’on « n’aime pas », comme on le ferait pour une chanson pop. Alors, si la véritable clé n’était pas de juger, mais d’apprendre à décoder ? Si, au lieu d’un verdict, on cherchait à établir un dialogue avec l’œuvre ?

Cet article propose une approche différente. Oublions le mythe du « don » pour l’art et concentrons-nous sur l’acquisition d’une grammaire visuelle active. Nous verrons pourquoi cette peinture peut sembler déroutante, puis nous vous fournirons une méthode concrète en 7 étapes pour l’analyser. Nous explorerons ensuite la richesse de l’écosystème artistique montréalais pour vous aider à bâtir votre propre culture picturale, sans pression et à votre rythme. L’objectif : transformer votre prochaine visite au musée d’une interrogation perplexe en une exploration passionnante.

Pour vous guider dans ce parcours, cet article est structuré pour vous accompagner pas à pas, de la théorie à la pratique, en plein cœur de la scène artistique de Montréal.

Pourquoi la peinture contemporaine semble-t-elle facile alors qu’elle ne l’est pas ?

L’une des plus grandes barrières à l’entrée de l’art contemporain est un paradoxe : il semble parfois si simple qu’il en devient complexe. Un monochrome noir, quelques formes géométriques, une toile qui semble inachevée… La réaction “mon enfant pourrait en faire autant” est un classique. Cette perception d’une facilité déconcertante crée une distance, voire une méfiance, qui peut expliquer en partie la difficulté des institutions à maintenir leur public. Au Québec, on a observé avant la reprise post-pandémique jusqu’à 52% de baisse de fréquentation pour les musées d’art par rapport à 2019.

La réalité est que la peinture contemporaine a largement délaissé l’objectif de la prouesse technique visible pour se concentrer sur le concept, le processus et l’idée. L’œuvre n’est plus seulement l’objet fini, mais la réflexion qui l’a engendrée. Un artiste qui peint une toile entièrement en bleu ne cherche pas à démontrer sa maîtrise du dégradé, mais peut-être à explorer l’impact psychologique d’une couleur, à questionner la nature même de la peinture ou à rendre hommage à un artiste comme Yves Klein. La “facilité” de l’exécution cache souvent une complexité intellectuelle dense.

Ce déplacement du savoir-faire vers le savoir-penser est fondamental. Il transforme l’œuvre en un point de départ pour une discussion. Comme le souligne une publication de l’Université du Québec, cette discipline a ses propres codes.

L’art contemporain constitue un monde très spécialisé qui n’est accessible qu’à un petit nombre d’experts.

– Publication scientifique québécoise, Critères et processus d’évaluation en art contemporain – Université du Québec

Cependant, cette affirmation n’est pas une fatalité. Si le monde est spécialisé, ses portes ne sont pas fermées. Il suffit de trouver les bonnes clés pour commencer à en déchiffrer le langage, non pas pour devenir un expert, mais pour devenir un spectateur éclairé et actif.

Comment analyser une peinture contemporaine en 7 étapes comme un critique ?

Plutôt que de subir une œuvre, l’idée est de l’interroger activement. Pour cela, nul besoin d’un diplôme en histoire de l’art, mais d’une méthode, une sorte de routine d’observation pour guider votre regard. Adopter une approche structurée permet de dépasser le premier jugement affectif (“j’aime/j’aime pas”) pour entrer dans une véritable lecture de l’œuvre. C’est en devenant un spectateur-explorateur que l’on commence à voir les détails, les intentions et les subtilités.

Cette démarche transforme la visite muséale. Au lieu de flotter d’une œuvre à l’autre en quête d’une émotion immédiate, vous vous ancrez devant chaque toile avec un but : mener votre propre petite enquête. Le carnet de notes devient alors un outil non pas pour paraître studieux, mais pour matérialiser vos pensées et structurer votre analyse.

Gros plan sur les mains d'un visiteur tenant un carnet face à une œuvre d'art contemporain dans une galerie montréalaise
Written by Martine Beaulieu, Martine Beaulieu est médiatrice culturelle et conservatrice certifiée depuis 14 ans, diplômée en histoire de l'art de l'UQAM et titulaire d'une maîtrise en muséologie de l'Université de Montréal. Elle occupe actuellement le poste de responsable de la programmation dans un musée d'art contemporain montréalais de renommée.